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« Fallait-il encore que ces attentats terroristes à Paris tombent un vendredi 13 ! »

Depuis, c’est la panique. Certes à Paris, à Bruxelles, à Molenbeek, … mais bien au-delà aussi. Presqu’à Verviers. Et n’oublions pas Beyrouth ou Bamako…

A travers les médias à coup sûr, les réseaux sociaux, les discussions au boulot, chez le boulanger ou chez la coiffeuse. Dans les foyers, au café… Si nous n’y prenons garde, nous serons envahis… par la peur. Avec le risque d’en devenir soit anesthésiés, soit rongés de l’intérieur, mais aussi dans nos relations aux autres, dans notre regard sur tout (ce) qui nous semble étrange, dans notre regard sur le monde. Ramollis dans nos poignées de mains, flétris dans nos regards, appauvris dans nos émotions… Perdus parce que gagnés par la peur, le doute sur tout, les incertitudes profondes parfois indistinctes. Peur pour nos vies, pour celles de nos enfants. Pour ce qui pourrait se passer demain, voire ce soir, non : dans une minute. Tout va si vite. « Sûr que ça va nous tomber dessus »! Et puis, que deviendront nos enfants plus tard. Dans quel monde vivons-nous… vivrons-nous… vivront-ils ? Survivrons-nous ? La peur a envahi notre quotidien comme nos quotidiens.

La peur peut vite devenir la plus grande ennemie de la paix. Intérieure comme extérieure. La peur qui engendre alors les réactions instinctives, souvent non réfléchies, irrationnelles. Voire les révoltes, les guerres… La peur qui nous fait échapper à nous-même, à la mobilisation de nos ressources, de nos réflexions, de notre esprit critique. A l’expression juste et légitime de nos émotions aussi, tantôt faites de tristesse, de désespoir ou de désespérance, tantôt de révolte, de violence ou d’intolérance, … d’errance !

Est-ce la fin du monde ?

Et alors, on fait quoi maintenant… ?

Pas très loin de cette idée, n’est-ce pas « la prophétie de la fin des temps » dont se servent allègrement de sordides faussaires pour manipuler des jeunes, essentiellement, voire d’autres jeunes, et les envoyer au feu ? Leur « offrant » – à quel prix ! – l’espoir d’être sauvés en leur volant leurs vies pour leur demander de la perdre. Leur « offrant » un nouveau sentiment de ralliement, mieux, d’appartenance – on a tous en nous l’envie voire le besoin de faire partie d’une équipe… qui gagne -. Leur « offrant » (enfin ?) un vrai sens à leur vie… dans l’au-delà.

Comment imposer notre volonté de vivre à ceux qui cherchent à détruire la vie…

En déplorant « les erreurs du passé » dans le chef de certains responsables politiques parfois trop centrés sur les dividendes électoraux ? Des responsables, soit trop cyniquement rejetants voire méprisants, soit trop complaisants face à l’évolution de la multiculturalité, qui pourtant pose question et préoccupe, avec tous ses corollaires. Faut-il la combattre voire espérer la faire disparaître ? Ou les cultures d’origines étrangères finiront-elles bien par se (con)fondre à la culture ambiante, soit spontanément, soit par la force… ? La multiculturalité est-elle « naturellement » source d’enrichissement mutuel ? Est-il judicieux de prendre pour objectif de cultiver la différence « à tout prix », au lieu de commencer, à tout le moins, par cultiver le respect de la différence pour « mieux reconstruire de l’unité à partir de la diversité »[1]? A un autre niveau, faut-il combattre « à tout prix » et chercher à refouler sans discernement toute expression philosophique et/ou religieuse dans une espèce de camisole privée[2]? Ou, pire, (se) faire croire que « ça n’a rien à voir », que là n’est pas l’essentiel… ?

Comme si ça allait de soi… Comme s’il s’agissait de faire croire que l’on peut compter sur l’(auto)extinction progressive de la diversité plutôt que d’agir pour qu’elle enrichisse chacune et chacun, comme LA Communauté, tout en privilégiant le respect du bien commun, de l’intérêt général, qui selon moi outrepasse l’intérêt public.

Comme si exiger le refoulement et l’enclavement du philosophique et/ou du religieux dans la seule et exclusive sphère privée suffirait à le faire taire voire disparaître. Couvrez ce sein que je ne saurais voir[3]

Au-delà d’une volonté exprimée d’ouverture, l’effet n’est-il pas de favoriser, au lieu de la liberté, les replis voire les luttes de « clans »?

A y réfléchir, nous ne sommes pas très loin de cette tendance manichéenne, symbolisée notamment dans le drapeau du djihad habillé tout de noir et de blanc, à opposer l’un contre l’autre, de sorte qu’il faille, inéluctablement, un gagnant et un perdant… pire, un vivant et un mort. Il faut tuer pour survivre… Manipulant au passage, parce que ça fait recette !, des références religieuses comme pour justifier voire glorifier la destruction des mécréants. Pire, déshumanisant l’autre au même titre que l’assassinat, « chosifiant » l’autre comme l’assassinat, banalisant l’autre comme l’assassinat, … refroidissant l’autre comme l’assassinat. Comme si l’on pouvait décider de faire disparaître à tout jamais la chaleur de la vie, de l’émotion, de l’humanité incarnée, de la rencontre même inattendue, de la poignée de main ou du regard… comme par miracle ?

Rien que de le penser, ça fait … peur, non ?

Comment imposer notre volonté de vivre à ceux qui cherchent à détruire la vie…

En multipliant les discours et les forces de sécurité, en (se ?) donnant le sentiment d’avoir le contrôle voire la maîtrise… de la situation et de « l’autre ». En cherchant à imposer le rapport de force et à s’imposer par lui. En cherchant à convaincre que par ce biais, « on peut y arriver, on va y arriver ! »

Certes, l’écœurement et l’indignation ont atteint leur summum, à juste titre, tout comme le sentiment ou la croyance selon laquelle parvenir à faire douter, mieux, à faire craindre l’autre, comblera nos incertitudes et atténuera nos peurs. Certes il faut des réactions fortes à des actes d’une extrême violence. Certes il faut sur le très court terme sécuriser la population et nos institutions. Il n’y a aucun doute à avoir là-dessus.

Mais au-delà, il faut rassurer, mieux, apaiser au plus vite! Et pour apaiser, il faut sans doute aider à comprendre, mais aussi re-connaître, valoriser et croire, certes en nos institutions, mais aussi en toutes les initiatives et au travail au quotidien des acteurs publics, dont nombre de responsables politiques, et associatifs. Enseignants, dès le plus jeune âge, travailleurs sociaux au sens large, éducateurs, animateurs de jeunes et de quartiers, animateurs culturels, sportifs, … Toutes celles et tous ceux qui vivent au contact des jeunes et des familles, participant ainsi à leur vie.

Toutes celles et tous ceux qui travaillent à la prévention, sur le terrain, au quotidien. Il est temps de dépasser le combat d’idée stérile entre la sécurité et la prévention, et se réjouir de la nécessaire complémentarité entre ces deux niveaux d’action. Cette vision fait son chemin, c’est plutôt rassurant !

De ces acteurs de l’éducation, de la formation et de la prévention, on parle peu, peut-être parce que leur action n’est souvent pas mesurable, en tout cas sur le court terme. Il faut bien dire que le culte du fast food et du « court- termisme[4] » qui envahit nos sociétés modernes n’y est pas pour rien.

Et pourtant…

On ne soulignera jamais autant qu’aujourd’hui l’importance du renforcement du « grandissement[5] personnel« , de l’esprit critique, de l’émergence et de la rencontre entre porteurs d’avis, d’émotions et de regards différents sur « les choses de la vie« , du dépassement de la vision en noir et blanc, surtout en deux dimensions, de la relativité des choses..

De la découverte et de l’ouverture sur le monde, dans le temps et dans l’espace, et de la (com)préhension – comme de l’appréhension – des différences qui en découlent.

Du contact direct, entre personnes dans leur chair, dans leur réalité et leur présent non virtuels, tellement plus doux au regard et au toucher.

De la construction d’une identité propre, juste expression de soi, de ses sensibilités, de ses aspirations et de ses idéaux, pour soi et au sein d’une société où chacun peut avoir sa place et apporter sa valeur ajoutée.

De cette vision des choses, à travers des projets élaborés et menés ensemble, qui consiste à valoriser la plus-value individuelle et collective du faire-ensemble.
Et si nous opérons un focus sur l’actualité horriblement noircie par les actes terroristes, comment ne pas mettre en évidence, ou pire, nier, l’importance des ancrages au cœur de la famille, entre amis, entre amoureux, au sein de l’école, des maisons et des mouvements de jeunes, des espaces de culture, des clubs de sport, …

Une des premières caractéristiques des jeunes djihadistes n’est-elle pas d’être en rupture avec tous ces points d’ancrage, devenant des candidats voire des proies faciles, recherchant désespérément un autre espace de ralliement, de repères, de repaire ; hypnotisés par la culture de l’idéal voire de « la transcendance », déçus par un monde en perte de repères voire de valeurs… recherchant un sentiment d’identité et animés de la volonté de revanche sur un monde ressenti comme devenu étranger, hostile, à a-néant-ir[6]

La remarquable pièce d’Ismaël Saidi, Djihad, est spectaculairement éloquente à ce sujet.

Des contacts réguliers que, bourgmestre jusqu’il y a peu, j’entretenais avec de nombreux jeunes musulmanes et musulmans, ou des responsables de mosquées ou de centres culturels islamiques, j’ai compris que les tentatives de recrutement de jeunes ( ?) djihadistes ne s’opéraient pas dans la plupart des lieux de culte, étant aussi en rupture avec ceux-ci, mais essentiellement à travers les réseaux gsm et internet, voire, à la marge, dans certains quartiers. Un des objectifs éducatifs majeurs devant dès lors être selon moi de re-concilier les communications et les réseaux sociaux ( ?) virtuels, avec les communications et réseaux directs, physiques, enrichis des relations humaines constructives.

J’ai aussi compris d’une façon plus générale qu’il faut oser aborder, sans crainte, les tabous et les communautarismes de repli afin de les dépasser. Quitte parfois à déranger. Il est urgent de placer, davantage encore, toutes ces questions dans l’espace public. Car ce qui est caché, en cette occurrence comme en d’autres, tenu secret, est par nature souvent considéré comme suspect ou à tout le moins suscite le doute. Il appartient incontestablement à « la communauté musulmane », par ailleurs très diversifiée culturellement, philosophiquement et historiquement, de s’engager elle aussi et de s’investir au sein de LA communauté, dans la localité, pour parvenir ensemble à dépasser ce qui est devenu une des préoccupations majeures de nombreux citoyens de toutes origines.

Au départ de mon engagement politique mais aussi associatif, je suis en mesure d’apprécier l’évolution très positive et, je pense vraiment, profondément sincère dans le chef de nombreuses personnes de conviction musulmane, de travailler dans ce sens. Conscients de leurs responsabilités pour y parvenir avec succès, mais rejetant eux aussi ce que d’aucuns appellent « les faussaires de l’islam », refusant très légitimement tout amalgame avec ceux-ci.

Si j’évoque l’échelon local, c’est que je suis convaincu que c’est en proximité directe avec la population que l’action se révélera efficace et durable. Si, à juste titre, il faut fermement s’insurger, condamner et combattre la transposition des problèmes internationaux à l’échelle locale, il serait incohérent et absurde de prétendre vouloir résoudre les problèmes, notamment du Moyen-Orient, dans nos quartiers.

L’objectif est donc bien de comprendre que c’est ensemble et d’abord là où nous vivons, que nous devons valoriser l’engagement concret, et la volonté de s’ouvrir et de participer à l’œuvre commune. De susciter le renfort et le renforcement de ce que Monteil appelle « l’imagination collective ».

L’appel est plus que jamais lancé aux faiseurs d’opinion et aux faiseurs de liens, d’où qu’ils viennent ! Il s’agit là d’un préalable à une nouvelle forme de militantisme au sein de la société civile, dont nos communautés locales ont un urgent besoin. Le militantisme au sens d’Alexandre Jardin, en mode action avec les Faizeux, dépassant les seules intentions ou les diseurs de mauvaises aventures ou des « n’y a qu’à… » des Diseux[7]

En phase avec une expression de Gandhi, extraordinaire combattant pour la paix, récemment rappelée par Mohamed Galaye Ndiaye, imam à la grande mosquée de Bruxelles, interviewé récemment par L’Avenir Verviers: « Tout ce qui se fait pour nous sans nous est contre nous »…


 

[1] Pierre-Olivier Monteil, Reprendre confiance. Philosophie d’urgence pour société en crise (François Bourin, Paris, 2014).

[2] Même si, et c’est très loin d’être incompatible, un objectif majeur du responsable politique reste de faire en sorte que tous les citoyens respectent d’abord et avant tout les mêmes règles de la vie publique, de la vie en commun, et par là-même se respectent mutuellement. Sachant qu’un autre objectif majeur qui doit guider le responsable politique est d’amener un maximum de citoyens à s’engager activement dans la construction du faire-ensemble, quels qu’en soient les moyens, quel qu’en soit le degré d’implication…

[3] Molière, Tartuffe.

[4] Voir l’ouvrage de Jean-Louis Servan-Schreiber, Trop vite ! Pourquoi nous sommes prisonniers du court-terme.

[5] Au-delà du belgicisme, voir Larousse : rapport de la longueur d’une image à la longueur de l’objet…

[6] En référence à Durkheim, cité par Naoual Loukia, auteur d’un mémoire de fin d’études remarquable (Verviers, Ville invisible – UCL, 2015), les concepts de « mal de l’infini » et d’ « anomie » (état de désorganisation suite à la disparition partielle ou totale des normes et des valeurs communes) interrogent encore aujourd’hui notre société démocratique.

[7] Alexandre Jardin, Laissez-nous faire ! On a déjà commencé (Robert Laffont, Paris, 2015)